MR 31 : La tête nucléaire de précocité

 

Une tête nucléaire MR 31 est chargée sur son missile dans une zone de lancement. Un pompier se tient prêt avec une lance à incendie. Collection Franck Laidin

De part le caractère sensible des armes nucléaires, il est relativement compliqué de pouvoir obtenir des informations de détail de celles-ci. Les archives dont la divulgation pourrait permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes de destruction nucléaires sont incommunicables en France (Art. L. 213-2 du Code du Patrimoine). Il y a cependant certaines fois des informations parcellaires sur des détails et particularités de ces armes disponibles en sources ouvertes.

Sur le sujet de la Munition Radiologique 31, la tête nucléaire des missiles S2 mis en service à partir de 1971, quelques éléments ont percolé. Cette tête nucléaire est un engin à fission pure, tirant la puissance de sa centaine de kilotonnes (entre 100 et 130 kt selon les sources) uniquement de la fission du plutonium. Engin particulièrement lourd (750 kg sans compter le bouclier thermique) cet engin semble avoir été testé à In Ecker, dans le désert algérien, le 27 février 1965 (essai Saphir), ainsi qu'à Mururoa le 11 septembre de l'année suivante (Essai Bételgeuse) devant le Président de la République Charles de Gaulle en personne.

Ballon captif pour l'essai nucléaire Bételgeuse
Le ballon sous lequel l'engin de l'essai nucléaire Bételgeuse fut accroché. Source : ECPAD

Cette tête nucléaire est représentative du besoin français de disposer, aussi vite que possible, de quoi armer sa force de dissuasion nucléaire alors que les recherches sur la bombe H accusent un certain retard. Alors que seulement 32 mois séparent le premier essai nucléaire chinois du premier essai thermonucléaire, le programme atomique français accuse un écart de plus de huit ans entre Gerboise Bleue, premier essai français, et Canopus, qui marque l'entrée de la France dans l'ère thermonucléaire, du moins en théorie. Il faudra attendre la deuxième moitié des années 1970 pour voir arriver, au sein de la Force Océanique Stratégique des têtes mégatonniques avec la mise en service du M20. Mais c'est en 1971 (avec un certain retard, du à la mise au point des fusées) que le Plateau d'Albion voit sa première unité de 9 missiles entrer en service.

La MR 31 contient énormément de plutonium pour une arme de cette puissance. Ceci vient alors avec des problématiques liés à la chaleur de la désintégration du plutonium. Cette chaleur peut, à la longue, endommager les explosifs censés comprimer la masse de plutonium pour entraîner la réaction en chaîne, et les rendre ainsi beaucoup plus sensibles et dangereux, en particulier lors de chocs. Il est donc nécessaire de contrôler la température de la tête nucléaire. Les véhicules de transport sont donc équipés d'unités de climatisation (qu'on ne retrouve plus sur le VTC entre 1980 et 1984, et sur le VTPH à partir de 1984). Les zones de lancement sont aussi équipés pour le contrôle de la température des têtes. Des équipements ayant besoin d'être relancés après les orages, car les coups de foudre entraînent un disjonctement préventif pour protéger les équipements d'une surtension. Cependant, le caractère enterré des S2 évite au moins les aléas qu'ont rencontré les missiles Jupiter basés en Italie, qui ont été frappés par la foudre au moins 4 fois.

Un missile S2 dans son silo
Un missile S2 dans son silo. Crédits photo : SIRPA Air

 Parmi les indices les plus intéressants sur la MR 31, le témoignage de Pierre Billaud (La Grande Aventure du nucléaire militaire français, p 233), physicien ayant contribué au programme nucléaire français, permet d'évoquer des préoccupations particulièrement importantes sur le plan de la sécurité. Il évoque ainsi, très brièvement, une charge "monstrueuse" de plutonium accompagné par "les difficultés de sûreté" qui en résultaient. Les TN 60 et 61, plus puissantes mais aussi plus légères, avec un cœur de plutonium beaucoup plus petit, sont présentées comme étant beaucoup plus sûres, certainement en ayant profité de l'assistance américaine secrète au programme nucléaire militaire français, dont la sécurité était l'un des axes majeurs de coopération.

 Quels leçons tirer de cette tête nucléaire précipitée ? On peut penser qu'un programme nucléaire récent, comme le programme nucléaire iranien ou un hypothétique programme nucléaire japonais, sud coréen ou polonais, accouche de têtes nucléaires à fission pure pour disposer rapidement d'une capacité de porter le feu nucléaire avec des moyens balistiques. Ces têtes nucléaires seraient donc particulièrement lourdes et inefficaces, développant ainsi une puissance d'une centaine de kilotonnes tout au plus. La problématique de rendre "sûr" une masse de matière fissile aussi importante avec autant d'explosifs pourrait se poser. Une tête nucléaire de deux tonnes serait cependant facilement adaptable à un missile iranien, par exemple, au vu des capacités et de l'expérience du programme balistique de Téhéran. Une expérience que n'avait pas le programme balistique français des années 1960 au vu des retards du S2, entrant en service la même année que le sous-marin Le Redoutable.

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Petite bibliograhie

BILLAUD, Pierre, La grande aventure du nucléaire militaire français Des acteurs témoignent, Editions L’Harmattan, 2017. 

VAÏSSE, Maurice, Armement et Ve République Fin des années 1950 - fin des années 1960, Paris, CNRS Éditions, 2013. 

BURR William, « U.S. Secret Assistance to the French Nuclear Program, 1969-1975: From "Fourth 
Country" to Strategic Partner » [en ligne], Wilson Center [consulté le 28/08/2024]. Disponible sur 
https://www.wilsoncenter.org/publication/us-secret-assistance-to-the-french-nuclear-program-1969
1975-fourth-country-to-strategic

 

 

 

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